Être ami avec son patron : pour ou contre ?
Gardez bien votre réponse en tête et dites-moi à la fin de l’épisode si votre avis sur la question a évolué. Spoiler: pour ma part, je dois vous l’avouer, ma position sur le sujet a changé à mesure que j’en discutais autour de moi et que j’avançais dans mes recherches.
Mais on y reviendra.
En attendant, je vous propose de vous faire le tour de mes recherches, des échanges que j’ai eus sur le sujet et de toutes les subtilités qui l'entourent. Bon, déjà soyons clairs, développer des liens d'amitié au bureau, c’est tout à fait normal, et ça arrive souvent. Quand on passe des années à côtoyer quotidiennement les mêmes personnes, des liens se créent. Ça n’est bien entendu pas systématique !
Même s’il est naturel de créer des liens, votre voisin de bureau, si sympathique soit-il, ne deviendra par à coup sûr votre ami. Et c’est correct, on n’a pas forcément d’affinité particulière avec tout le monde ! Ce point étant clarifié, revenons à la question de l’amitié entre un employé et son supérieur.
Je suis partie du principe qu’il n’y a aucun problème avec le fait d’être ami avec son supérieur. En prenant la définition du mot amitié, on lit que c’est un “ sentiment réciproque d'affection ou de sympathie qui ne se fonde ni sur la parenté ni sur l'attrait sexuel”. De mon côté, avec mes supérieurs je n’avais ni lien de parenté, ni …. d’attrait sexuel. On peut aussi rajouter la définition du Petit Larousse qui nous dit que l’amitié est un “sentiment d'affection entre deux personnes ; qu’il y a de l’attachement, et de la sympathie entre une personne et une autre”. D’après ces définitions, je peux clairement vous dire que j’ai tissé des liens d’amitié avec mes supérieurs. Est-ce que ça veut dire que je leur livrais tous mes secrets ? NON ! Il y a bien entendu plusieurs niveaux d’amitié possible, et être ami ne veut pas forcément dire être un livre ouvert. Par contre, j’entretenais une belle relation avec eux et ça nous arrivait de partager nos petits coups de blues. Aucun problème à priori donc. Mais, en creusant le sujet et les expériences des gens à qui j’ai parlé, je me suis rendu compte que j’avais eu de la chance, et que tout ne se passe pas toujours bien.
L’un des problèmes de l’amitié avec son boss ne vient pas du fait d’entretenir une relation d’affection, mais de ce qu’on partage au niveau personnel. Car ces informations peuvent se retrouver, être utilisées comme outil d’influence dans cette relation, qui outre les enjeux personnels inclut également des enjeux professionnels. Et c’est en prenant conscience de la présence de ce double enjeu que j’ai vraiment compris que tout peut potentiellement devenir compliqué dans ce contexte. Alors, je ne parle pas d’influence en termes de manipulation volontaire, car on ne serait plus dans un contexte de relation amicale: manipuler des gens pour obtenir ce que l’on souhaite, je ne considère pas ça comme de l’amitié. Je parle ici d’une influence qui se fait discrète et qui est involontaire. Un manager, comme tout être humain, est victime de ses biais cognitifs, et s’il ne fait pas particulièrement attention à traiter son ami de la même manière que ses collègues, il pourrait se retrouver à le favoriser, ou à être plus exigeant avec lui. Eh oui, il ne faut pas croire que c’est forcément positif pour les personnes concernées. Il faut voir aussi que l’employé aura une facilité à aborder certains sujets avec le manager, ce qui peut créer une attente particulière de l’équipe vis-à-vis de cette personne, ou bien créer une vision biaisée des rapports dans l’équipe du point de vue du manager, qui aura du feedback plus souvent de son ami, que du reste de l’équipe.
Et parlons-en justement du favoritisme ! Parce que c’est un des autres enjeux de l’amitié au travail. Il y a plusieurs aspects à prendre en compte : le favoritisme perçut, et le favoritisme réel qu’il soit volontaire ou non.
On vient de voir un exemple de favoritisme involontaire, et bien réel avec les biais cognitifs. C'est-à-dire vos pensées inconscientes, automatiques et récurrentes qui perturbent et affectent vos jugements et vos décisions. Par exemple, il est important de savoir que si vous avez plus de complicité et d’affinités, ou que vous partagez plusieurs caractéristiques avec certaines personnes, comme le sexe, l’âge et la catégorie socio-économique, vous aurez plutôt tendance à les considérer comme plus méritantes. D’où l’importance de se remettre en question. D’après moi, si vous êtes dans ce cas là, il faut qu’à chaque décision prise, vous vous demandiez : “est-ce que j’aurais pris la même décision si c’était une autre personne concernée ?” On a d’ailleurs déjà parlé plus en détail de certains de ces biais dans l'épisode 6 du podcast avec Hélène Ly, et l’épisode 11 avec Nolwenn Anier. Donc si ça vous intéresse de creuser le sujet, vous savez quoi faire !
Pour ce qui est du favoritisme réel et volontaire, je ne pense pas qu’il y ait besoin d’un exemple, et évidemment, c’est quelque chose qui ne devrait pas exister.
Il y a aussi la notion du favoritisme perçu. Même si le manager se protège de ses biais, et fait de son mieux pour être objectivement équitable, les personnes en dehors de la relation d’amitié pourraient tout de même, à travers leur prisme de lecture, voir une préférence de traitement dans certaines décisions. Et c'est bien plus compliqué à gérer, car le manager ne sera pas toujours au courant de cette perception. Je pense que la meilleure manière de se protéger de cette fausse perception se trouve dans la communication. Et je le dis dans presque tous les épisodes, mais une bonne communication, claire et précise, ça aide toujours. Dans ce cas précis, il faudra ajouter un haut niveau de transparence, afin que les membres de l’équipe puissent comprendre les éléments factuels qui motivent les décisions du manager.
Et on n’a pas encore fait le tour du favoritisme. Il y a une autre conséquence du favoritisme, qu’il soit réel ou ressenti, c’est que cela crée un sentiment d’exclusion. Si je parle du sentiment d’exclusion, c’est parce qu’il y a une étude intéressante qui a été menée et qui dit que se sentir exclu d’un groupe provoque une douleur comparable à celle provoquée par une blessure physique. En tout cas, ce qu’il faut savoir c'est que dans le cerveau, ce sont les mêmes mécanismes qui s’activent que vous viviez une douleur physique ou une exclusion. Rappelez-vous la dernière fois que vous vous êtes coupé par accident avec votre couteau, normalement ça ne vous a pas laissé un sentiment agréable dans votre mémoire. Et , ce sont les mêmes mécanismes de la douleur qui s’activent lorsque vous vous sentez exclu. Alors je vais peut-être un peu loin avec mon histoire de se couper une main, mais je pense que vous avez compris l’idée.
Je vous dirai que la meilleure façon de gérer ce genre de situation, c’est d’être toujours vigilant pour ne pas faire d’inégalité au sein de votre équipe, peu importe vos affinités avec les gens qui la composent.
J’ai un autre conseil aussi à vous donner, c’est de faire très attention au processus et à ce qu'on appelle la «justice procédurale». Cette justice procédurale c’est ce sentiment de justice ou d'injustice que peut avoir une personne face à une procédure appliquée. D’où l’importance d’avoir des procédures bien faites, c’est-à-dire :
Si vous mettez tout cela au clair, vous permettez à tous de ne pas ressentir de l’inconfort, du favoritisme et limitez de ce fait certains conflits.
Un autre point que je trouvais intéressant à traiter, c’est la question de l’évolution hiérarchique. Que se passe-t-il dans un groupe de collègues et amis, si l’un d’eux se retrouve promu manager de l’équipe ? On va bien entendu retrouver les mêmes enjeux que ceux dont j'ai parlé dans l'article "Être ami avec son boss partie 1", mais ils risquent d’être exacerbés du fait que la relation d’amitié existait préalablement à la relation hiérarchique. Donc évidemment, les astuces dont on a parlé s’appliquent encore. Mais dans ce type de situation, il faut prêter attention à l’évolution de la relation entre les personnes concernées. Il faut que les deux parties aient conscience que le changement de la dynamique hiérarchique va avoir des impacts sur leur relation. Une fois qu’on en a conscience, le plus dur est fait. Il reste alors à faire preuve de patience et de recul, afin de se donner le temps de retrouver une dynamique de relation qui soit adaptée à l’environnement professionnel.
Ce n’est pas facile de prendre le rôle de manager. Selon la culture d’entreprise, ça peut même parfois être très compliqué. Je vous dirai que ce que j’observe souvent c’est que ces nouveaux managers ne veulent pas passer pour des personnes trop naïves ou trop gentilles. Certains vont se dire que s’ils maintiennent des liens amicaux, cela pourrait donner une impression de faiblesse.
En tout cas, sachez que gérer une équipe est une compétence qui s’apprend. Donc peut-être que votre nouveau manager est en train de trouver son rythme, sa posture managériale. Les changements de rôle ne sont pas toujours faciles. Mais, vous savez quelle est la bonne nouvelle là-dedans ? C’est que vous pouvez l’aider !
Les collaborateurs aussi ont un rôle important à jouer dans la prise de fonction d’un nouveau manager. Si vous voyez des changements qui vous semblent inadaptés, allez le voir, optez pour le dialogue ! Dites-lui qu’il n’a pas besoin de se transformer en homme de pierre et que cette distance qu’il met nuit à l’ambiance générale. Dites-lui qu’avant cette prise de poste ses qualités relationnelles étaient appréciées, alertez-le sur ce qui a changé, faites-lui part des changements que vous avez constatés. Et aidez-le à être lui-même !
Dans ce genre de situation, tendez la main, et vous ferez preuve d’une véritable maturité professionnelle. Les gens adoptent des comportements pour une raison. Il faut tenter de comprendre les motivations du changement de comportement avant de juger, sinon vous prenez le risque que la personne se sente attaquée.
Au fond, l’entreprise c’est juste un réseau de personnes qui doivent interagir entre elles. Et plus ces interactions, ces relations seront équilibrées et mieux l’organisation fonctionnera.
Retenez que la transparence est le meilleur moyen de prévenir les conflits et de préserver la confiance.
Comme je vous le disais au début de ce texte, au départ je pensais que le sujet de l’amitié au travail serait facile à traiter. Pour moi, il n’y avait aucun problème au fait d’être ami avec son supérieur. Et il est vrai que j’ai de la chance de mon côté, d’avoir toujours été proche de mes supérieurs et oui j’emploierai même le mot amitié. Mais en construisant cet épisode, j’ai vu d’autres réalités. Je suis même parti questionner mes collègues, mes supérieurs hiérarchiques actuels et tout ce beau monde m’a permis d’avoir une vision plus large.
J’ai compris qu’en rejoignant une entreprise, on ne devient pas amis avec tout le monde, mais que c’est la culture d’entreprise qui favorise la confiance, le respect, l'entraide et l'écoute . Et c’est peut-être là, le secret. Ce n’est pas le fait d’avoir cette amitié avec son supérieur qui est important, c’est le fait de construire une relation interpersonnelle saine.
Peut-être que la question n’est pas de savoir si on peut être ami avec son boss, mais pourquoi on souhaiterait l’être ? Est-ce qu’à la place de vouloir absolument être ami avec son ou sa boss, ou d’être le manager qui veut absolument être aimé par tout le monde, on ne mettrait pas plutôt en place un environnement de travail sécuritaire où chacun pourrait exprimer son opinion, ne pas avoir peur d’exprimer ce qui ne va pas, se respecter et compter les uns sur les autres, sans hypocrisie ?